Débat nano sur le thème "éthique et gouvernance" hier soir : réactions à chaud

Débat public sur les nanotechnologies à Orléans

Hier soir a eu lieu le premier des deux ateliers-débats organisés par la CPDP nano sur le thème "éthique et gouvernance" dans le cadre du débat national. J'y ai participé. Je partage ici quelques réactions à chaud. Attention, ce n'est pas une synthèse des discussions (on attendra celle que publiera la CPDP dans quelques jours), mais plutôt un prolongement. S'il vous manque des éléments de contexte, n'hésitez pas à poser des questions.

1. Alexei Grinbaum, physicien et philosophe, chercheur au LARSIM (CEA), considère qu'il faut éduquer les foules (voir aussi son article dans Techniques de l'ingénieur), et notamment permettre aux jeunes de connaître mieux les technologies, de sorte (par exemple) qu'un téléphone portable ne soit pas pour eux une "boîte noire" avec quelque chose qui entre et quelque chose qui sort.

Si je ne nie pas l'intérêt de l'information et de la formation, je ne les considère pas du tout comme un préalable au débat. Il y a dans les débats actuels des questions qui ne nécessitent pas de connaissances scientifiques. Par analogie, j'ignore les mécanismes qui produisent les réglementations européennes (c'est ma boîte noire à moi), mais ça ne m'empêche pas de considérer que la mention "nano" qui va être indiquée sur les produits cosmétiques comportant des ingrédients nanométriques est une ineptie. Et apparemment cet avis est largement partagé.

2. Jean-Luc Pujol, de la Mission d'anticipation recherche/société et développement durable à l'INRA, a critiqué la mise sur le marché importante de produits bactéricides (au nano-argent) dont le bénéfice pour les consommateurs est extrêmement faible alors que l'on ignore l'incidence d'un usage généralisé de ces produits sur l'écologie microbienne. Sur cette évaluation du rapport bénéfices/risques, Jean-Pierre Chaussade (membre de la CPDP) a souligné que mettre en place un système d'autorisation de mise sur la marché à l'image de ce qui se fait dans le domaine de la recherche pharmaceutique a été évoqué à de multiples reprises au cours des débats. L'idée est de contraindre les industriels à faire des études toxicologiques suffisantes avant la mise sur le marché des produits mais aussi de mettre dans la balance une évaluation des bénéfices attendus pour la société et une réflexion éthique.

Sciences et Démocratie avait formulé une telle demande en 2007 (voir Pour une innovation plus prudente). Si l'idée est séduisante pour ceux qui aspirent à plus de précaution, il y a lieu de s'interroger sur sa faisabilité. Comment pourrait-on tenir compte, dans l'évaluation des bénéfices, des usages détournés, inattendus, qui ont fait le succès de certaines innovations (la diversité des applications autour d'internet, le Viagra d'abord indiqué pour l'angine de poitrine...) ?

3. Arila Pochet (Ministère de la Santé) a indiqué qu'il n'était pas envisageable de faire reposer la totalité de l'expertise sur les pouvoirs publics. Elle préfèrerait que les industriels soient responsabilisés, c-a-d exposés à des sanctions, civiles ou pénales, de sorte que leur propre évaluation du rapport bénéfices / risques les pousse à plus de prudence.

Est-ce réaliste ? Au moment où surviendra un problème, les industriels ne risquent-ils pas de se défendre en invoquant le niveau d'incertitudes scientifiques (ces mêmes incertitudes qu'ils devraient lever avant la mise sur le marché de leurs produits) ? Là je suis ignorant et j'aimerais bien quelques éléments de réflexion. Ami internaute...

4. On m'a dit, en off, que ce sont des associations de consommateurs qui ont poussé à l'adoption d'une étiquette "nano" sur les produits cosmétiques. Je suis étonné. Parce que c'est clairement l'approche la moins coûteuse pour les industriels. Il faudra prendre contact avec ces assos pour en savoir plus sur leurs motivations...

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Commentaires

Exprimez-vous ! L'association Sciences et Démocratie se bat pour donner la parole aux citoyens dans les débats « science société ». Vos messages renforceront notre motivation.

Re: Débat nano sur le thème "éthique et gouvernance" ...

Merci pour ce compte rendu fort interessant.
On se demande parfois comment se positionne certaines associations ...

Re: Débat nano sur le thème "éthique et gouvernance" ...

échanges croisés entre sites de veille surle sujet nano:
un extrait de mes suggestions transmises à la CPDP dans le questionnaire pour le 23 février 2010:

La priorité à la connaissance toxico pour réguler des usages non confinés me semble importante. L'usage de modèles de prédiction de risques peut renouveler les habitudes actuelles (attendre 30 ans d'usage pour voir les dégats dans une population n'est guère tolérable). Utiliser la prédiction et entendre les personnes hypersensibles comme lanceurs d'alerte est-il donc si difficile ? Mais penser co-vigilence ne signifie pas le faire sur argent public. Les industries qui tentent l'aventure et font des bénéfices devraient abonder un fond de prévention servant à faire ces études toxico de façon contradictoire et économe. Plutôt que de refaire des contre-expertises, tantôt sur argent privé, tantôt sur argent public, il serait plus efficient de pratiquer des processus communs avec analyses simultanées dans labos privés et public. Les résultats seraient alors confrontés avec + de chance de voir clair.