En juillet 2010, le collectif Révoluscience mettait en ligne un manifeste dont le but était d'amener à réfléchir, aussi bien individuellement que collectivement, sur les pratiques de la culture scientifique et technique (CST) et les enjeux liés. Nous revenons ici sur le parcours du manifeste, des prémices avant 2008 jusqu'à sa mise en ligne en 2010.
Par Antoine Blanchard et Mélodie Faury pour le collectif Révoluscience.
Billet publié simultanément sur L’Infusoir et Knowtex Blog
A propos du manifeste, lire également : Les réactions suscitées par le manifeste Révoluscience
Origines et intentions du manifeste Révoluscience
Plusieurs étapes ont précédé l'écriture du manifeste.
Des mails qui circulent, un projet qui s'initie
Si le projet démarre publiquement avec le colloque Pari d’Avenir 2008, il faut remonter à l’idée même d’organiser cet évènement pour apercevoir les germes de ce positionnement collectif. Un premier déclencheur fut un texte publié par le Palais de la Découverte, présenté dans les Actes du colloque « Aimez-vous la science ? ».
Une conf au Palais, présentant une vision archi positiviste de la science, le progrès va tout résoudre, etc... L'envie de répondre, car dans la salle personne ne s'est révolté. L'envie de dire stop, c'est dangereux, on va dans la mauvaise direction. L'envie aussi de réussir à exprimer ce qui faisait l'unité de toutes nos assocs (Paris-Montagne, groupe Traces, Atomes Crochus), Livio
A l’époque, certains des participants au colloque s’étonnaient même de ne pas reconnaître dans ces Actes les interventions auxquelles ils avaient assisté. Les idées developpées par Philippe Lazar dans ce texte suscitèrent des réactions vives dans des échanges de mails entre membres de l’association Paris-Montagne et du groupe Traces notamment.
Exemples :
- Une ode archi classique et bornée au "Progrès" qui serait seul capable de faire revenir une jeunesse qui aurait peur des sciences, vers les sciences...
- Pourquoi entretenir cette fausse idée (d’après les enquêtes) que les sciences font plus peur qu’avant… ?
Plutôt que de donner une réponse publique à ce texte, le groupe Traces et les associations Paris-Montagne, Les Atomes Crochus décidèrent d'en profiter pour développer une réflexion sur d'autres manières d'aborder les questions de médiation et de vulgarisation scientifique, partant du constat de l’existence d'un regard partagé sur cette question par les membres de ces trois associations, qui ont quelques membres en commun du fait de leurs origines respectives.
- Voir l’équipe, les fondateurs et les bénévoles de Paris-Montagne
- Voir Les membres des Atomes Crochus
- Voir Les membres du groupe Traces
S'inspirant d'une initiative menée en Italie par certains acteurs de la culture scientifique, qui se sont baptisés « Les Amphibiens », il fut entendu que la forme d'un manifeste conviendrait à la démarche collective qu'il s'agissait ainsi d'initier.
Extrait d’un texte des Amphibiens :
Nous demandons donc que soit reconnu et valorisé le rôle de ces nouvelles figures professionnelles amphibiennes, qui arrivent du monde de la recherche et de la communication et qui, à travers leur travail de tous les jours, en favorisant l'ouverture des nouveaux canaux de communication entre science et société, sont appelés à poser les bases d'une citoyenneté scientifique sur laquelle il sera possible de bâtir une société de la connaissance, équitable, ouverte et démocratique.
Le colloque Pari d'Avenir
Le colloque Pari d’Avenir se déroule chaque année pendant le festival Paris-Montagne, sous forme d’ateliers-débats organisés en matinée.
En 2008 se sont côtoyés entre 20 et 30 jeunes médiateurs, chercheurs, membres et dirigeants d'associations de culture scientifique et dirigeants (ou anciens dirigeants) de grandes écoles et musées de science.
Dans le programme à disposition des participants, il avait été proposé à cette occasion de réfléchir à l’opportunité d’un Manifeste pour une révision des objectifs et des pratiques de la culture scientifique.
A l'époque, je crois surtout avoir ressenti le besoin de plusieurs "praticiens" de mettre à plat les tenants et les aboutissants de leur pratique de médiation/communication. Comme si nous étions à un moment charnière., Nicolas
Plusieurs thématiques avaient été soumises aux débats collectifs, déjà formulées sous forme d’engagements. Elles visaient à ouvrir des discussions sur les conceptions de la médiation scientifique, mais aussi plus largement de la science, partagées ou non par les participants :
- Pour une clarification des objectifs
- Pour une réflexion sur la notion de « culture scientifique »
- Pour une réflexion sur la « vision du monde » proposée par la science
- Pour des actions qui montrent la science « telle qu’elle est » et « telle qu’elle se fait »
- Pour un droit aux valeurs
- Pour une éthique de la communication de la science
Le programme précisait également : À l’issue du colloque, un petit groupe réuni autour du groupe TRACES tentera de faire ressortir les principales idées exprimées lors des ateliers-débats, dans un texte qui pourra préfigurer, à défaut de constituer, le manifeste évoqué plus haut.
Des comptes rendus furent donc rédigés et la question s’est posée ensuite au sein du groupes Traces et de l’association Paris-Montagne de la suite à donner à l’ensemble de ces discussions.
Pour les curieux, l'ensemble des comptes rendus des ateliers et d'autres documents complémentaires sont disponibles en ligne.
Le colloque Pari d'avenir était un événement marquant pour beaucoup d'entre nous, réunis pour discuter d'un renouveau de la médiation scientifique. Je me souviens du conteur Philippe Berthelot proposant de remplacer la médiation "consotoyenne" par une médiation centrée sur la valeur humaine de la science et sur la valeur éducative de son histoire. Je me souviens du plaidoyer de certains participants pour qu'on arrête de restreindre les métiers scientifiques à celui de chercheur. Je me souviens d'un incident avec une chercheuse qui ne se reconnaissait pas dans notre discussion. Je me souviens enfin du mélange d'expériences, d'âges et de parcours — avec cette même volonté de faire avancer le schmilblick en reconnaissant la diversité des situations, même si les présupposés du débat n'étaient pas forcément partagés., Antoine
L’écriture d’un manifeste
Des séances de travail au sein du groupe Traces
Pour moi : le colloque Pari d'avenir 2008 avait été frustrant d'un point de vue de la réflexion sur les pratiques de médiation scientifique, et avait au contraire souligné à quel point notre position méritait d'être portée en avant, face à un certain nombre de pratiques. Je me souviens même avoir envoyé un mail au cœur de l'été 2008 pour demander à ce qu'on donne une suite plus "interne" à ce colloque... ça fait plaisir de voir ce qu'on a parcouru depuis :-), Bastien
Les réflexions amorcées au sein des ateliers-débats de Pari d’Avenir ont donné lieu à des séances de travail au sein du groupe Traces. Celles-ci, bimensuelles, faisaient alterner des séances de type Journal Club (présentation d’articles, d’ouvrages et discussions) avec des séances plus spécifiquement dédiées au travail de rédaction du manifeste.
Deux ans de discussions, parfois agitées, pour aboutir à une formulation fidèle aux conceptions partagées par les membres du collectif, et qui ont abouti à la version diffusée sur le blog revoluscience.eu. La mise en débat dans cet espace de discussion correspondait alors à la volonté de soumettre cette première version aux réactions et commentaires des lecteurs intéressés, qui se reconnaissent plus ou moins dans ce texte.
Il est d’ailleurs encore possible de participer en ligne !
Définition collective des objectifs du Manifeste
Proposer explicitement une autre vision qu’une vision positiviste de la science parfois présente dans la médiation scientifique, sans bien sûr aller pour autant dans le relativisme ; proposer une alternative cohérente, convaincante et féconde pour la pratique de médiation. Aller donc vers un texte fédérateur, permettant d’identifier des acteurs proches de nos idées et d’envisager des actions communes, une créativité collective. Mélodie
L’un des déclencheurs, devenu l’un des premiers objectifs du manifeste, était d'affirmer publiquement la possibilité de considérer la science autrement que par une sorte de positivisme rémanent, en tout cas encore trop souvent présent pour les auteurs de ce texte, et notamment dans la médiation scientifique.
Les autres principaux objectifs tels qu’ils étaient initialement formulés étaient pour la plupart communs à tous les membres du collectif Révoluscience :
- Construire un espace de débat et de réflexion collection sur le pourquoi et le comment de nos pratiques de médiation respectives ;
- Donner l’occasion aux acteurs de la culture scientifique de formuler des idées qu'ils avaient sans pour autant les avoir déjà explicitées ;
- Fournir des outils aux acteurs, utilisables dans leurs pratiques ;
- Fédérer une communauté qui se reconnaisse dans un texte commun, inviter ceux qui le souhaitent à se joindre à nous afin de défendre une vision et des objectifs pour la médiation scientifique ;
- Influencer les pratiques en les rendant moins autoritaires et plus à l'écoute des valeurs et des savoirs non scientifiques ;
- Vulgariser les science studies.
D’autres, complémentaires et parfois plus spécifiques à certains membres venaient s’y ajouter :
- Partager des expériences de médiation, prendre du recul sur celles-ci ;
- Promouvoir chez chacun une prise de conscience, une analyse, de ses pratiques de médiation et de leurs implications, parfois implicites ;
- S'affirmer pour certains types de pratiques contre un certain nombre d'autres, majoritaires, créer du conflit pour obliger les gens à réfléchir et prendre position ;
- Forcer les décideurs, financeurs, et autres « orientateurs » ou « responsables » à réfléchir à ces questions ;
- Faire connaître les associations porteuses de ce projet ;
- Utiliser ces réflexions pour améliorer les pratiques de médiation des Atomes Crochus ;
- Structurer et comprendre la nature de ce qui fonde le groupe Traces en explicitant les idées partagées par ses membres.
Réflexions par rapport à d’autres initiatives
La rédaction du Manifeste s’est enrichie de réflexions sur d’autres initiatives liées à la médiation ou à la culture scientifique, antérieures ou contemporaines :
- Le Manifeste pour une vulgarisation créatrice, co-écrit par Yves Jeanneret, Pierre Laszlo et Lionel Salem, et publié dans le Figaro du 21 Juin 1995, afin d’appeler à une prise de conscience sur l’importance de la vulgarisation.
- La charte déontologique de la médiation culturelle issue d'un travail mené entre 2004 et 2007 par les membres de l'association Médiation Culturelle à Lyon. Cette initiative a donné lieu à une réflexion croisée avec le projet de Manifeste Revoluscience par l’un des membres du collectif, lors des Doctorales JecSic 2009 intitulée « Des savoirs et des hommes : quelle pertinence de la notion de médiation pour penser l’élaboration et la transmission du savoir et de la culture ? »
- Manifeste De la vulgarisation de Merde du réseau de vulgarisation scientifique Plume ! qui n’est plus accessible en ligne
- Manifeste pour une culture de sciences citoyennes, diffusé à la suite de la publication des Assises du Réseau romand Science et Cité (RRSC) en début d'année 2010, et construit à partir des recommandations issues des débats des ateliers initiés par les Assises du RRSC. Le Réseau roman Science et Cité a relayé le Manifeste Revoluscience en Suisse.
Lancement du Manifeste
Le Manifeste a été lancé au mois de juillet 2010, une fois une première version rédigée et le blog mis en place. Le date du lancement coïncidait avec un moment où la réflexion sur les questions liées à la culture scientifique, technique et industrielle était particulièrement vive, en France mais également en Suisse.
- Lancement d’un manifeste suisse, intitulé « Manifeste pour une culture de sciences citoyennes », issu des Assises du Réseau romand Science et Cité, destiné à être diffusé auprès des responsables de la culture scientifique.
- Projet de rédaction d’un texte commun par les acteurs de la CSTI en Rhône Alpes, en juin 2010
- Perspective du Forum territorial de la Culture Scientifique et Technique, le 28 septembre 2010
Mise en débat et réactions lors de l’édition 2010 de Pari d’Avenir
L’édition 2010 du colloque Pari d’avenir n’a pas permis d’atteindre les objectifs que le collectif Révoluscience souhaitait atteindre, du fait notamment d’un calendrier finalement peu favorable à une organisation satisfaisante en amont de ces rencontres avec les participants au festival Paris-Montagne, et du fait de l’absence d’un grand nombre des membres du collectif Révoluscience à cet événement.
Objectifs de la mise en débat
Ce colloque constituait une première confrontation aux réactions et aux critiques des médiateurs sur la pertinence d’un tel texte pour leur pratique professionnelle.
Les objectifs du collectif Révoluscience dans ce contexte pourraient être listés de la manière suivante :
- Ouvrir la discussion et inciter ceux qui le souhaitent à contribuer à la réflexion ;
- Réaffirmer qu’il ne s’agit pas d’un travail abouti mais bien d’un travail en construction ;
- Voir dans quelles mesures les propositions du Manifeste pourrait être applicables très concrètement sur le terrain, dans la pratique de chacun ;
- Tester la possibilité pour les acteurs de la culture scientifique de s’approprier ce texte en l’état et envisager le cas échéant les adaptations ou évolutions qui paraissent nécessaires suite aux retours
- Inventer collectivement, multiplier les outils et les idées qu’il pourrait s’agir de développer pour prolonger les propositions du manifeste dans la pratique ;
- Présenter les suites actuellement envisagées pour poursuivre la réflexion.
Difficultés rencontrées et premières réactions
Des problèmes de clarté et d’organisation
Les objectifs du colloque et ce qui était attendu des participants n’ont pas été clairement définis au début des ateliers-débats. Ajoutons à cela la quasi absence de cadre pour l’animation des discussions, qui ont compromis dès le départ la richesse potentielle des échanges.
D’autre part, la totalité des textes du manifeste n’était pas sortie au moment du colloque (deux textes seulement avaient été communiqués aux participants : Objectifs et pratiques ; Rapports au publics), ce qui rendait impossible l’accès à une vision globale de la démarche du collectif Révoluscience et de ses intentions.
Des réactions mitigées sur l’intérêt de ces réflexions
Les premiers retours des participants ont dès lors permis de prendre la mesure de certains obstacles induits par les formulations et le mode de diffusion séquentielle du Manifeste.
Quand certains médiateurs nous rétorquaient simplement qu’ils n’avaient ni le temps, ni l’envie et qu’ils se sentait forcés à des discussions dans le cadre du colloque pour lesquels ils n’exprimaient pas d’intérêt, d’autres répondaient que c’était bien joli, et ensuite ? Que pouvait-on faire d’un texte de cette sorte ? Quel était concrètement l’apport de celui-ci pour leurs activités professionnelles quotidiennes ?
Enfin, plusieurs personnes ayant déjà mené ce type de réflexions sur leurs pratiques se demandaient ce qu'il pouvait bien y avoir d'original dans le manifeste. Tout cela est connu, alors à quoi ça sert ? Notre réponse était alors de dire qu’il s’agissait d’un effort de formalisation pour élargir les lieux de réflexion commune sur ces réflexions, mettre en commun pour avancer plus vite.
Le problème de l’appropriation d’un texte encore bien théorique
Ainsi, plusieurs personnes nous ont à juste titre fait remarquer que, dans sa forme actuelle, le texte du manifeste n'était justement pas très accessible. Il fallait se donner les moyens de rendre possible cette appropriation concrète des propositions formulées, puisqu’il s’agissait d'un de nos principaux objectifs !
Ainsi, certains participants ont noté par exemple que pour les jeunes médiateurs, ce ne serait pas adapté alors qu'ils pourraient être une cible importante pour changer les manières de faire dans l'avenir... Une version vulgarisée de ce manifeste sur la vulgarisation semblerait dès lors nécessaire !
Dans le même sens, l'idée est venue de faire des courts métrages d'exemples caricaturés allant à l'inverse du manifeste ou des récits d'expériences des personnes soutenant la démarche du manifeste (plusieurs personnes motivées). Plus largement, une demande de concrétisation des idées s’est faite entendre.
Commentaires
Exprimez-vous ! L'association Sciences et Démocratie se bat pour donner la parole aux citoyens dans les débats « science société ». Vos messages renforceront notre motivation.
Re: La construction du manifeste Révoluscience
Bonjour à vous !
Je viens de découvrir votre travail sur votre manifeste et j'espère sincèrement que celui-ci avance selon vos objectifs et que vous bénéficiez d'efficaces soutiens.
C'est dans mon questionnement de savoir les étapes préalables à la rédaction d'un manifeste que j'ai pris connaissance du votre.
Je vous exprime mes vœux de bonnes avancées de l'élaboration de votre manifeste en vous souhaitant que celui-ci vous permette de voir l'impact attendu laisser une empreinte indélébile et constructive.
cordiales salutations.
Martine