La science viendra-t-elle à bout des maladies, des pollutions et de la faim dans le monde ? Certains en sont convaincus. Pour ceux-là, nano et biotechnologies fourniront les remèdes de demain. Certes on ne peut nier les avancées que la science a permises en termes de santé, d'espérance de vie et de confort. Mais d'autres tirent la sonnette d'alarme et tentent de s'opposer à cette vision d'une science salvatrice qu'ils qualifient au mieux d'utopie technologique au pire de mascarade justifiée par la seule croissance économique qu'elle assure. Ils expliquent en effet que la science, ou plutôt la technoscience, est aujourd'hui invoquée pour fournir des solutions à des problèmes qu'elle a elle-même induit.
Typiquement, ce sont les pratiques de l'industrie et de l'agriculture intensive qui sont pointées du doigt. On cherche des solutions techniques sans jamais songer à revoir les pratiques en cause, sans examiner des solutions alternatives moins sophistiquées. Les OGM sont de bons exemples de cette logique. Ainsi, le maïs Bt est conçu pour résister à un parasite, la pyrale, en produisant lui-même l'insecticide adéquat. Mais ce parasite est devenu problématique à cause du développement de la monoculture. Il semble qu'il ne pose pas de problème avec des pratiques plus traditionnelles (rotation des cultures notamment). Que dire de la solution « Terminator » proposée par la firme Monsanto ? Ce projet consistait à rendre stériles les plantes transgéniques dans le but louable de ne pas contaminer les cultures voisines et ne pas risquer de boulversement des écosystèmes. Il a provoqué une levée de bouclier car il aurait asservi définitivement les agriculteurs. Que dire encore des porcs transgéniques aux déjections moins polluantes imaginés pour protéger les eaux de surface et les nappes phréatiques contre les pollutions phosphatées provenant des élevages ? Ne serait-il pas plus judicieux de récupérer et de traiter les lisiers ? Ces trois cas illustraient les propos de Christian Vélot, maître de conférence en génétique moléculaire et membre d'ATTAC, dans un récent débat de la Fondation sciences cioyennes. Usant de la dérision pour détendre l'atmosphère et enfoncer le clou, il terminait en proposant de créer des hommes transgéniques sans appareil génital pour régler définitivement le problème des maladies sexuellement transmissibles (MST). Avec les nanotechnologies, la même logique est à l'oeuvre. Il suffit de voir les promesses qui sont diffusées quotidiennement sur les sites spécialisés (voir par exemple www.azonano.com, en anglais) : dispositif nanoscopique permettant la libération d'un médicament ou d'un vaccin à l'endroit et au moment approprié dans le corps, « laboratoire sur puce » pour diagnostic médical ultra rapide, matériaux de construction aux propriétés dépolluantes...
Comme l'expliquent Françoise Roure et Jean-Pierre Dupuy dans leur rapport intitulé Les nanotechnologies : éthique et prospective industrielle, ce sont deux visions du rapport à la nature qui s'affrontent : D'un côté, l'écologie profonde fait de la nature un modèle immuable d'équilibre et d'harmonie, et de l'homme un prédateur irresponsable et dangereux. De l'autre, le projet humaniste moderne vise à arracher l'homme à la nature et à le rendre maître et possesseur du monde et de lui-même. Dans un cas la "transgression" est vilipendée, dans l'autre elle est revendiquée..
Alors, l'Homme doit-il respecter la nature, au motif qu'il n'arrivera jamais à maîtriser sa complexité ou simplement parce que ce n'est pas éthiquement admissible ? Ou a-t-il le droit de la domestiquer jusqu'à en faire un environnement adapté à ses exigences de confort et ses prétentions d'espèce supérieure ? Et la question ne se limite pas à l'environnement. De par sa capacité technique, l'Homme est désormais capable de modifier sa propre nature, ses propres caractéristiques. Le recours à la chimie a conduit au dopage. La science fiction nous montre ce qu'on pourrait faire de la thérapie génique, des implants cybernétiques (facilités par les nanotechnologies)... Et c'est clairement le projet du mouvement transhumaniste.
Entre les deux extrêmes proposés précédemment, une position intermédiaire peut-elle exister ? Pensez par exemple au projet de piégeage du dioxyde de carbone pour lutter contre le réchauffement climatique. Sans doute l'urgence de la situation peut-elle justifier d'avantage le recours à une solution technologique. Mais où placer la limite ? À moins que la connaissance des processus intimes du vivant et de la matière conduise un jour à faire tomber la frontière entre naturel et artificiel, relégant aux oubliettes le conflit entre pro et anti-technologie...
Commentaires
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Proposition de débat
Respecter ou dompter la nature, force est de constater que les deux positions existent dans la société. Comment les concilier ? Sont-elles seulement conciliables ? Qu'en pensez-vous ?
Re: L'Homme, la technique et la nature
Bonjour, Merci beaucoup pour toutes ces informations. Il est vrai que les découvertes scientifiques et les avancées technologiques ont considérablement amélioré notre vie. Je comprends aussi tout à fait le point que vous avancez sur la technoscience. Cependant je ne peux pas me positionner du côté de l'un ou de l'autre parti. J'aime à penser que les 2 sont conciliables et que cela sera vraiment dans un futur proche !
Re: L'Homme, la technique et la nature
Bonjour,
Respecter ou dompter la nature de l'être humain, force est de constater que les deux positions (tribaliste ; humaniste) existent dans la société civile comme dans la société civile bionumérique. Comment harmoniser les tribalistes avec les humanistes pour construire une opposition biopolitique de l'e-gouvernement de la société civile bionumérique tout en sauvegardant la société civile ? les deux positions (tribaliste ; humaniste) sont-elles seulement conciliables dans un cadre légal, sécurisé dans la transparence de la société civile ? Qu'en pensez-vous ?