A l'exception du groupe grenoblois d'opposants aux nanotechnologies Pièces et Main d'Oeuvre qui l'a évoquée le 22 septembre dernier, la nouvelle n'a pas été relayée par les médias francophones à ce jour : début aôut 2011, deux chercheurs ont été blessés au Mexique après réception d'un colis piégé envoyé par un groupe anarchiste qui s'oppose aux nanotechnologies : le groupe ITS, "Individualidades Tendentes a lo Salvagem" ("Individualités Tendant au Sauvage").
Selon Fox News1, dans un manifeste publié en ligne, le groupe a inscrit son action dans la lignée de celle d'Unabomber (dont les bombes et colis piégés ont tué trois personnes et en ont blessé 23 aux États-Unis entre 1978 et 1995) et revendiqué deux tentatives d'attentat préalables, perpétrées en avril et mai derniers contre l'Institut polytechnique national du Mexique.
La revue Nature a publié à la fin du mois d'août l'appel2 lancé par Gerardo Herrera Corral, physicien dans cet institut et frère de l'une des victimes de l'attentat d'août, demandant à la communauté scientifique de se protéger contre la "capacité de destruction" de ce type d'organisations.
Selon lui, les autorités fédérales mexicaines et Interpol relient ces actions à celles observées en Espagne, en France et au Chili.
A noter, le fait que l'Italie et la Suisse sont elles aussi concernées : le 22 juillet, soit quelques jours avant l'explosion de ce colis piégé au Mexique, le Tribunal pénal fédéral (TPF) suisse avait condamné à plus de trois ans de prison ferme3 trois membres du groupe anarchiste-insurrectionnel italien "ELF Switzerland Earth Liberation Front" pour tentative manquée d'attentat à la bombe en avril 2010 contre le centre de recherche en nanotechnologies d’IBM alors en construction à Rüschlikon près de Zurich.
Dans son appel à la vigilance à destination des scientifiques publié dans Nature, Gerardo Herrera Corral affirme : Il n'est pas, en soi, inacceptable de s'opposer à une technologie. Nous pouvons tout à fait débattre de l'opportunité de prolonger le développement technique dans notre société. Mais les groupes radicaux (tels que ceux qui ont envoyé les colis piégés à l'Institut polytechnique national du Mexique) oublient un détail crucial : ce n'est pas la technologie qui est le problème, mais la façon dont nous l'utilisons. Après avoir inventé la dynamite, Alfred Nobel est devenu un homme riche, parce que cette dernière a été utilisée dans les mines, les carrières, les activités de construction et de démolition. Mais les gens peuvent aussi décider de mettre de la dynamite dans un colis et l'adresser à quelqu'un avec l'intention de le tuer (notre traduction).
Une distinction classique entre la science et ses applications... qui est remise en cause avec le développement des technologies dites "émergentes", parmi lesquelles les nanotechnologies. Ainsi que le résume Christian Godin, philosophe à l'université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, la science actuelle est de plus en plus une technique de manipulation, avec des effets négatifs de plus en plus nombreux et de plus en plus importants. La science se glorifie, à juste titre, de ses triomphes (amélioration de l’hygiène de vie, allongement de l’espérance de vie, accroissement des rendements agricoles etc.). Elle doit corollairement se reconnaître responsable de ses désastres. À l’exception des mathématiciens qui font encore des sciences pures (fondamentales) et qui peuvent dire encore, à l’instar d’Einstein, que leur principal outil de travail est la corbeille à papier, les scientifiques aujourd’hui sont des manipulateurs de réel et doivent par conséquent être tenus pour responsables des effets éventuellement négatifs de leurs manipulations 4.
Un sujet qui sera discuté aujourd'hui à Bruxelles à l'occasion de la conférence NanoCode. La notion même de la "responsabilité" des chercheurs en nanosciences suscite en effet des discussions animées, avec des points de vue divergents selon les acteurs (organisations de recherche, décideurs politiques, industries ou organisations de la société civile notamment). [NDLR : pour approfondir la question de la responsabilité des chercheurs et en discuter, lire La responsabilité des chercheurs en nanoscience en discussion]
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Ce texte est extrait d'un article publié le 28 septembre 2011 sur le site VeilleNanos.fr, sous le titre ETHIQUE et GOUVERNANCE - Un été et une rentrée placés sous le signe de la responsabilité des chercheurs impliqués dans les nanosciences et nanotechnologies
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- Anti-tech group claims Mexico bombs, Fox News, 9 août 2011.
- Gerardo Herrera Corral, "Stand up against the anti-technology terrorists", Nature 476, 373, 22 août 2011.
- Condamnations fermes pour trois éco-anarchistes, SwissInfo, 22 juillet 2011.
- Christian Godin, Le scientifique est-il responsable de l'usage de ses découvertes ?, 27 janvier 2010 ; voir aussi notamment le passage de Jean-Pierre Dupuy sur "la prétendue neutralité de la science" dans "Le problème théologico-scientifique et la responsabilité de la science", 2004 ou encore Bernadette Bensaude-Vincent, Les Vertiges de la Technoscience, La Découverte, 2009.
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Commentaires
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Re: Des laboratoires de recherche en nanotechnologies ...
Ah ben... je ne savais même pas qu'il y avait des opposants aux nano technologies. Et en plus, ils sont tellement persuadés d'avoir raison qu'ils utilisent la violence.
Balèze...
Re: Des laboratoires de recherche en nanotechnologies ...
Bonjour,
En tant que libriste des nanomondes (Open Source) je trouve intéressant l'éclairage des capitalistes des territoires numériques comme l'utilité des actifs gardiens d'un Dogmatique Ordre Social digital.
Rappel : l’Open Source est une culture de paiX !
Vive la biopolitique !