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Le 16 février dernier, à l'Assemblée nationale, a été adoptée en première lecture une proposition de loi [4] relative à « l'organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Cette proposition de loi est directement issue des Etats généraux de la bioéthique qui se sont déroulés en 2009 et dont elle veut institutionnaliser la formule : débats locaux animés par les Espaces éthiques régionaux, avis de citoyens préalablement formés dans des conférences de citoyens, recueil d'opinions sur un site internet dédié. L'intention est louable : permettre que les projets de réforme, et pas seulement les projets de loi, fassent l'objet d'un débat public large. Mais le texte risque de ne pas apporter les garanties attendues s'il est adopté en l'état. Flou sur certains points, discutable sur d'autres, il s'avère insuffisant et pourrait bien être inutile.
Le texte se compose de 2 articles. Il définit 1. qui décide de l'opportunité du débat et le met en œuvre et 2. selon quelle procédure.
Selon l'article 1, le débat public n'est envisagé que pour l'examen de projets de réforme. La loi ne considère pas le débat comme un outil pour le travail amont permettant d'identifier les besoins de réforme et servant à en jeter les bases. Ce sont donc des projets de réforme déjà bien ficelés qui seront mis en discussion, avec le risque qu'ils n'autorisent que des ajustements à la marge. Le débat sera alors perçu comme une opération d'acceptabilité du projet, comme c'est déjà trop souvent le cas.
La loi de bioéthique actuelle prévoit son propre réexamen tous les 5 ans. Trop contraignante au goût de certains, pas nécessairement adaptée au rythme d'évolution des questions éthiques pour d'autres, cette obligation de révision a fait débat pendant les Etats généraux de la bioéthique de 2009. Il en ressort que l'une des demandes de la mission parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique est de supprimer cette obligation.
Il est évident que la présente proposition de loi s'inscrit dans ce contexte, qu'elle a pour but de rendre acceptable la suppression de l'obligation de révision en proposant un dispositif alternatif. Car avec cette proposition de loi, le débat devient facultatif : l'article 1 stipule que « le projet de réforme [...] peut être précédé d'un débat public ». Ce caractère facultatif conduit à s'interroger sur les critères qui conditionneront la mise en débat.
Selon l'article 1, c'est au Comité consultatif national d'éthique (CCNE) que la loi confie la responsabilité d'initier un débat public « après consultation des commissions parlementaires compétentes et de l'OPECST ».
Le CCNE est une institution qui produit des avis sur les questions d'éthique dans le domaine des sciences de la vie. Composé de personnalités éminentes, ses travaux sont reconnus pour leur qualité. Le choix de lui confier l'initiative du débat offre-t-il une contrepartie satisfaisante pour les citoyens ? Ne risque-t-il pas de considérer sa propre expertise suffisante et de ne recourir à la participation des citoyens que lorsqu'il est en désaccord avec le projet de réforme qu'il examine ?
Le fait qu'il puisse hériter d'un pouvoir (celui de décider de la tenue d'un débat public) alors qu'il n'a aujourd'hui qu'un rôle consultatif ne risque-t-il pas de faire de sa composition un enjeu politique qui pourrait compromettre sa neutralité ?
Le fait qu'il doive s'appuyer sur l'OPECST1 [6] ou les commissions parlementaires pour prendre sa décision ne change pas véritablement la donne.
Faute d'une obligation de débat, il aurait été intéressant de permettre aux citoyens de le provoquer quand ils le jugent nécessaire. Pourquoi ne pas accorder un droit de saisine aux citoyens ? La France n'aime pas le principe de l'initiative citoyenne (voir encadré).
Chaque année en novembre, le CCNE dialogue avec les citoyens à l'occasion de ses Journées annuelles d'éthique, un évènement de 2 jours à l'Université René Descartes à Paris. Seront-elles mises à contribution dans le dispositif introduit par la proposition de loi ?
L'objectif du second article est de dicter les méthodes de débat qui seront utilisées : états généraux et conférences de citoyens. La proposition de loi reprend là la formule utilisée l'année dernière pour le débat public préparatoire à la révision de la loi de bioéthique. Mais elle en dit trop ou trop peu. Elle nous enferme dans un choix méthodologique mais elle n'en définit pas précisément les modalités. Or ces démarches participatives peuvent présenter des biais de procédures qui en compromettent la régularité2 [7].
Par exemple, il est possible d'orienter les conclusions des panélistes d'une conférence de citoyens via le choix des formateurs qui leur sont attribués et des personnes qu'elles peuvent consulter. Lors des Etats généraux de la bioéthique 2009, les organisateurs ont fait le choix de ne pas exposer les panélistes aux arguments des militants associatifs, pour éviter que les sentiments qu'ils n'auraient pas manqué d'éprouver lors de ces échanges ne brouillent leur jugement. Ce choix est tout à fait discutable. L'organisation du débat national sur les nanotechnologies a elle aussi fait l'objet de critiques3 [8].
En l'absence de règles explicitement formulées, quels recours seront possibles contre d'éventuels vices de forme ?
Si les échanges [9] qui ont jalonné l'adoption de la proposition de loi à l'assemblée nationale montrent une réelle conscience des enjeux liés aux choix méthodologiques, il est curieux que rien n'en ressorte dans ce texte.
Un troisième article avait initialement été envisagé pour aborder la question des moyens financiers pour le projet. Le parlement, en tant que contrôleur de la bonne gestion des caisses de l'Etat, ne peut lui ajouter des frais au travers des lois qu'il propose. Il avait donc envisagé une participation du contribuable. Cet article a été retiré, au motif que les frais du débat public devaient pouvoir être imputés au budget de fonctionnement des institutions impliquées dans le débat. Mais il faut savoir que la participation des citoyens nécessite des moyens de communication assez conséquents si on la veut suffisamment large. La bioéthique est toutefois un sujet qui arrive à mobiliser de lui-même grâce aux mouvements associatifs et aux courants de pensée religieux ou laïques.
L'adoption de cette proposition de loi en première lecture à l'assemblée nationale le 16 février dernier n'est que la première étape de la navette parlementaire. Le texte est maintenant entre les mains du Sénat. Il est donc encore temps de le faire évoluer. Aussi je vous invite à diffuser4 [10] largement le présent article ou les questionnements qu'il porte, à contacter votre sénateur et à lui faire part des réserves qui y sont présentées.
Links:
[1] http://www.sciences-et-democratie.net/membres/philippe-bourlitio
[2] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/09/bioethique-et-debat-public-une-proposition-de-loi-a-revoir#comments
[3] http://www.flickr.com/photos/67968452@N00/1658343163
[4] http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0416.asp
[5] http://www.sciences-et-democratie.net/dossiers-et-debats/quelle-democratie/linitiative-citoyenne-dans-les-lois-francaises
[6] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/09/bioethique-et-debat-public-une-proposition-de-loi-a-revoir#footnote1
[7] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/09/bioethique-et-debat-public-une-proposition-de-loi-a-revoir#footnote2
[8] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/09/bioethique-et-debat-public-une-proposition-de-loi-a-revoir#footnote3
[9] http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-2010/20100132.asp#P282_66956
[10] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/09/bioethique-et-debat-public-une-proposition-de-loi-a-revoir#footnote4
[11] http://www.sciences-et-democratie.net/dossiers-et-debats/quelle-democratie/quels-etats-generaux-pour-la-bioethique
[12] http://www.sciences-et-democratie.net
[13] http://www.politis.fr/IMG/pdf/edpdf1072_sp_8_c.pdf
[14] http://www.sciences-et-democratie.net/dossiers-et-debats/les-nanotechnologies/contribution-de-sciences-et-democratie-au-debat-public-natio
[15] http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/3.0/deed.fr_CA
[16] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/05/pomme-de-terre-ogm-amflora-la-question-de-la-resistance-a-lantibiotique
[17] http://www.sciences-et-democratie.net/blog/2010/03/10/quand-la-tele-parle-de-nanotechnologies-vous-suivez