« Ce n’était pas moi » : réconcilier l’identité brisée par l’addiction

« Ce n’était pas moi » : réconcilier l’identité brisée par l’addiction #

« Ce n’était pas moi. » Cette phrase, tant de personnes en rétablissement l’ont prononcée en évoquant leurs comportements sous l’emprise de l’addiction. Cette dissociation entre le « soi addictif » et le « vrai soi » représente l’une des blessures les plus profondes laissées par la dépendance : une fracture de l’identité qu’il faut activement réparer pour construire un rétablissement durable.

La fragmentation identitaire dans l’addiction #

L’addiction ne se contente pas de créer une dépendance physique ou psychologique ; elle transforme profondément la perception que nous avons de nous-mêmes. Qu’il s’agisse d’addictions avec ou sans substance, le mécanisme reste similaire : la personne se trouve progressivement dépossédée de son identité au profit d’un « moi addictif » qui agit selon des schémas qu’elle aurait autrefois jugés impensables.

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Cette fragmentation identitaire opère selon plusieurs mécanismes :

  • L’altération des valeurs : des principes autrefois inébranlables deviennent négociables face à l’impérieux besoin de consommer
  • La modification des comportements : adoption de conduites (mensonges, manipulations, vols) en contradiction avec l’image de soi
  • L’isolement progressif : éloignement des cercles sociaux qui reflétaient une identité saine
  • La perte des rôles sociaux : abandon progressif des responsabilités familiales, professionnelles ou scolaires

L’addiction à l’adolescence : une identité en construction menacée #

La période adolescente représente un moment particulièrement vulnérable puisque l’identité est encore en pleine construction. Les problèmes de déscolarisation liés à l’addiction prennent ici une dimension particulièrement grave : l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage académique, c’est un espace essentiel de socialisation et de développement identitaire.

Lorsque l’addiction entraîne un décrochage scolaire, l’adolescent perd bien plus que des connaissances ; il perd un cadre structurant pour son développement personnel, des repères sociaux et l’opportunité de se construire à travers des réussites et des échecs dans un environnement encadré. L’identité en formation se retrouve alors définie principalement par la relation à la substance ou au comportement addictif.

L’emprise du numérique sur l’identité adolescente #

Dans notre société hyperconnectée, l’addiction numérique chez les adolescents représente un défi particulier pour la construction identitaire. Les écrans offrent des espaces où l’identité peut se fragmenter entre le réel et le virtuel, où l’image de soi devient dépendante de validations externes constantes.

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Cette addiction présente des caractéristiques uniques :

  • Elle peut paraître socialement acceptable, voire valorisée
  • Elle s’intègre facilement aux activités quotidiennes, notamment scolaires
  • Elle transforme subtilement la perception de soi à travers des mécanismes de comparaison sociale et de quête de validation

Le travail thérapeutique : reconstruire une identité cohérente #

La réconciliation identitaire constitue l’un des défis majeurs du rétablissement. C’est un processus qui nécessite souvent l’accompagnement d’un psychiatre addictologue spécialisé capable d’appréhender les multiples dimensions de cette fracture du soi.

Ce travail thérapeutique comprend plusieurs étapes essentielles :

1. Reconnaître sans juger

La première étape consiste à identifier les comportements liés à l’addiction sans porter de jugement moral. L’addictologue aide le patient à comprendre que ces comportements étaient la manifestation de la maladie, non l’expression de sa véritable personnalité.

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2. Intégrer plutôt que rejeter

Plutôt que de tenter d’effacer cette période de sa vie, la personne en rétablissement doit l’intégrer à son histoire personnelle. Le « moi addictif » fait partie de son parcours, même s’il ne définit pas qui elle est fondamentalement.

3. Réhabiliter les valeurs fondamentales

Le travail thérapeutique permet de redécouvrir et réaffirmer les valeurs personnelles qui existaient avant l’addiction ou qui ont émergé pendant le rétablissement.

4. Reconstruire les rôles sociaux

La réappropriation progressive des rôles familiaux, professionnels ou scolaires joue un rôle central dans la reconstruction identitaire. Pour les adolescents, le retour à la scolarité constitue souvent une étape déterminante.

Les récits de transformation : donner du sens à l’expérience #

La narration personnelle joue un rôle crucial dans la réconciliation identitaire. Transformer son histoire d’addiction en un récit de transformation personnelle permet de donner du sens à cette expérience et de l’intégrer dans une trajectoire de vie cohérente.

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Ces récits peuvent prendre plusieurs formes :

  • Le récit de la rédemption : l’addiction devient une épreuve qui a permis une évolution personnelle profonde
  • Le récit de la découverte de soi : le rétablissement comme chemin vers une connaissance plus authentique de soi
  • Le récit de la résilience : l’accent mis sur les ressources personnelles mobilisées pour surmonter l’adversité

L’importance du soutien communautaire #

La reconstruction identitaire ne peut s’opérer dans l’isolement. La participation à des groupes de soutien offre non seulement un cadre d’entraide mais aussi un espace où la nouvelle identité peut être reflétée et validée par des pairs qui comprennent ce parcours.

Dans ces espaces, la personne en rétablissement peut progressivement :

  • S’identifier à des modèles positifs ayant surmonté des défis similaires
  • Endosser à son tour un rôle de soutien auprès des autres
  • Développer une identité qui intègre l’expérience de l’addiction sans être définie par elle

Le défi particulier des rechutes pour l’identité #

Chaque rechute peut représenter une nouvelle fracture identitaire, réactivant la honte et le sentiment d’être « cette personne que je ne veux pas être ». C’est pourquoi l’accompagnement thérapeutique doit particulièrement se concentrer sur ces moments de vulnérabilité pour aider la personne à maintenir une vision cohérente d’elle-même malgré les éventuels revers.

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Vers une identité intégrée et résiliente #

Le rétablissement complet implique non pas de revenir à « qui j’étais avant », mais d’avancer vers une identité plus intégrée et résiliente. Cette nouvelle construction identitaire inclut :

  • Une conscience plus aiguë de ses vulnérabilités
  • Des stratégies d’adaptation saines face aux difficultés
  • Une connaissance approfondie de soi, fruit d’un travail introspectif intensif
  • Une capacité à mobiliser des ressources d’aide sans y voir un signe de faiblesse

L’expérience de l’addiction, aussi douloureuse soit-elle, peut ainsi être transformée en une source de sagesse personnelle et de compréhension profonde de la condition humaine. Nombreux sont ceux qui, après un tel parcours, affirment se connaître mieux qu’ils ne se sont jamais connus auparavant.

La phrase « ce n’était pas moi » évolue alors progressivement vers « je suis aujourd’hui une personne plus complète, qui a intégré toutes les facettes de son expérience ».

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